Son manteau l’encombrait, il était plus inutile qu’autre chose. Mais elle n’avait pas le choix, il fallait faire comme tout le monde. Et tout le monde, c’est-à-dire les humains normaux, porte un manteau lorsqu’il fait froid. Bien qu’il ne fasse pas un froid de canard, ou tout du moins Suzy ne sentait rien, ils semblaient tous frileux et congelés. Elle avait choisi une épaisse veste grise, assez esthétique mais parfaitement vaine, qu’elle avait pris soin d’assortir avec ses chaussures. Rares étaient les vampires carnivores qui restaient toujours au même endroit, mais elle était de ceux là, elle pouvait donc se permettre une garde-robe digne d’une reine, n’ayant nul besoin de voyager. La couleur éternellement grise du ciel, caché derrière des nuages épais, lui sapait le morale. Elle était bien placée et assez mature pour savoir que s’exposer au soleil était du suicide, mais elle le faisait dès qu’elle le pouvait. Veillant cependant à ne pas être aperçue par un humain, elle se laissait aller à briller de mille éclats, comme couverte par un millier de diamants. L’immortalité l’avait rendue belle, mais voir son corps orné de pierres scintillantes la réjouissait. A vrai dire, elle ne se rendait pas compte de sa beauté, elle lui était devenue trop familière et banale, mais se voir briller lui était étranger et elle savourait chaque instant de lumière. Toujours avoir ce que l’on ne possède pas déjà, c’est le but d’une vie. Qu’elle soit éternelle ou non, l’aspiration est la même. Quoi qu’il en soit, le soleil était aux abonnés absents, c’est pourquoi elle décida de sortir. Mais sortir pour quoi faire ? Elle n’en avait aucune idée. D’ordinaire, elle trouvait toujours une occupation et se débrouillait même pour passer un peu de temps avec les lents et fragiles humains mais là, c’était le grand vide. Suzanne était plutôt étrange dans son genre, elle vivait comme une végétarienne mais était carnivore et aimait les humains mais ne voyait pas ce qu’il y avait de mal à se nourrir de leur sang. Certains le lui reprochaient. Les vampires ‘normaux’ lui disaient qu’elle ne devait pas fréquenter leur nourriture à moins de s’abreuver d’eux et les vampires ‘végétariens’ lui disaient qu’elle devrait se convertir, vu son mode de vie. Elle n’y songeait presque jamais et évitait le sujet. Déjà parce qu’elle ignorait si elle en était capable et ensuite parce qu’elle se plaisait assez à faire la part des choses sans trop en faire ou pas assez. Elle était capable de compassion mais restait fidèle à sa nature, un assez bon compromis. Elle jouait une sorte de double jeu. Et les gens ‘normaux’ n’y voyaient que du feu… Elle veillait cependant soigneusement à ne pas passer trop de temps avec eux, de peur que la faim ne se fasse plus forte que la fascination qu’elle leur vouait. Ils étaient plutôt amusants, avec leur mollesse et leur fragilité, telles des poupées de porcelaines, et même si elle buvait leur sang, Suzy les aimait, d’une certaine façon. Enfin, d’une manière très spéciale. Un peu comme lorsqu’on écoute un enfant, Suzy leur portait une attention particulière, pleine de nostalgie et d’affection. Un peu comme lorsqu’on se rappelle que, il n’y a pas si longtemps, on était comme eux. Au bout de cent cinquante trois ans d’existence vampirique, elle aurait du en faire son deuil, mais c’était plus fort qu’elle, elle y songeait encore. D’ailleurs, elle avait plusieurs fois pensé à s’inscrire à un cours, histoire de passer plus de temps avec eux mais elle préféra éviter. Pourquoi ? Parce qu’une nouvelle famille venait d’arriver, une famille de vampires végétariens. Hormis au tout début de sa vie d’immortelle, Suzy n’était jamais sortie de sa petite ville, elle ne connaissait véritablement qu’elle. Et autant de nouveauté d’un coup l’avait intriguée. Elle connaissait d’ailleurs l’une d’entre eux, Alice. Une jeune fille sympathique et vive, à la gaieté agréable et à la douceur apaisante, prenant la forme d’un ‘petit lutin’ adorable. Autant de joie d’un coup était un réconfort pour Suzy qui vivait depuis bien longtemps seule avec sa bonne humeur. Au moins, maintenant, elle avait quelqu’un avec qui la partager. Ainsi donc, ayant elle-même un domicile fixe, elle resta dans l’idée que s’il se passait quelque chose, elle ne serait pas la seule à être concernée, tous les vampires du coin – sauf les nomades qui n’étaient en rien concernés – risquaient d’avoir des problèmes. Et c’avait beau avoir l’air improbable, elle préférait ne pas prendre de risques. Elle craignait plus que quiconque les Volturi, et elle se répétait sans cesse qu’elle n’avait pas été sauvée pour se rendre ensuite.

Il y avait peu de gens dans les rues, bien que la proximité de l’université attire du peuple. Ses talons claquaient sur le goudron, créant un son, répercuté par les murs alentours. Sa touffe blonde errait sans objectif précis, saluant de temps à autre quelques personnes. L’inconvénient d’être carnivore sont les yeux rouges, c’est fort ennuyeux lorsqu’on croise des humains… Et à moins d’être assoiffée, ce qui est une mauvaise idée, on ne peut pas voir d’humains sans avoir l’air suspect. Suzy évitait cette solution et favorisait des lentilles de contact colorées. Elle se débrouillait pour qu’elles donnent la couleur naturel de ses yeux d’avant ou tout du moins quelque chose de ressemblant, un bleu pastel. Mais elle arrivait rarement à un résultat impeccable, c’est pourquoi elle faisait l’objet de questions approfondies sur le changement de couleur de ses yeux. Elle trouvait des excuses simplistes comme l’éclairage ou l’humidité, ou parfois même ses humeurs, mais ça marchait la plupart du temps. Les humains se contentaient souvent d’explications ridiculement primitives.
Une légère brume recouvrait le ciel. Quelques regards se retournaient sur elle, à son plus grand bonheur, elle qui avait oublié la splendeur que donnait la transformation. Il faut avouer cependant qu’elle essayait toujours de se mettre en valeur. Son jean noir, plutôt serré accentuait sa taille, plutôt grande et sa finesse et son top blanc, près du corps, faisait ressortir sa minceur et la perfection de ses formes. Etre un vampire était si… habituel.

C’est en passant devant une boutique de déguisement qu’elle eut l’idée d’appeler Alice. La liste des amis de Suzy n’était pas très répandu mais une fête n’aurait pas été superflue, et puis Alice serait la seule à la soutenir dans ce projet, les autres l’auraient traitée d’insensée… Sortant son petit portable, d’un gris métallique, elle sélectionna le numéro de son amie dans la liste de son répertoire.
Pour tout vous dire, Alice était la seule que Suzy connaissait. Les autres membres de la famille Cullen lui étaient quelque peu étrangers bien que la petite brune lui parle d’eux de temps à autre. La dernière fois qu’elle l’avait vue, elle avait semblé distraite et un peu triste, pour une personne qui d’ordinaire est toujours joyeuse, et quoi de mieux qu’une fête pour lui remonter le morale.

Des ‘bips’ retentirent, puis une voix, argentine, douce et clair, d’un soprano mélodieux répondit, Suzy entama la conversation. Sa voix, à elle, était plutôt d'un médium aigu, excité et impatient, dont le ton enfantin dominait les intonations.

Suzanne : « Alice ? C’est Suzy. Je te dérange ? »

Elle se stoppa, laissa passer quelques dixièmes de seconde. Les gens alentours ne devaient même pas se rendre compte qu’elle parlait, ils devaient juste la voir immobile avec le téléphone à la main. Ils semblaient bouger si lentement, presque au ralenti.

Suzanne : « Tu sais, continua-t-elle. Je me baladais, et j’ai eu une idée. Y’aurait-il une possibilité que tu me rejoignes pour qu’on en discute ? Devant la boutique de déguisements ? »

Certes, c’était un lieu farfelu mais après tout, c’était avec Suzy que Alice parlait, pas avec un vampire normalement constitué xD. La voix de son amie semblait anxieuse, comme s’il se passait quelque chose d’important à la villa des Cullen. Mais ce n’était pas au téléphone qu’il fallait en parler, si besoin, Alice pourrait parler à Suzanne face à face, ce serait plus simple.
Les quelques passants s’éloignèrent, pour diverses raisons. Suzy resta plantée au milieu sans bouger, attendant une réponse positive de la part de la petite brune. Elle semblait avoir d’autres préoccupations mais cela la détendrait et Suzy ne voyait pas quelqu’un d’autre la suivre dans ses divagations humanoïdes de vampire. C’est ça qui était plaisant avec Alice, rien n’était réellement trop extravagant…
Suzy était encore un peu confuse sur 'qui inviter' ou 'où l'organiser' mais elle prévoyait quelque chose de grandiose, costumé et haut en couleur, ce qui semblerait convenir à la somptueuse Alice qui ne craignait pas le zèle. Peut être était-ce un défaut mais les deux vampires, dont l'imagination était débordante, n'hésitaient pas à en faire trop et à voir grand, user de tous les moyens pour réaliser des choses inoubliables.

Cela faisait bien longtemps que Suzanne ne s'était pas amusée ainsi, à faire la folle en compagnie de quelqu'un de son espèce. Elle avait beau aimer s'abreuver d'eux, Sue avait tendance ces derniers temps à traîner de plus en plus avec des humains. Elle prétextait que tout ceci n'était qu'une couverture, mais au fond, était-ce la véritable raison ? Elle se détestait de penser cela mais les humains la faisaient sentir humaine à son tour. Elle n'était pas comme eux, et elle ne le serait jamais plus, pourtant, une partie d'elle en mourrait d'envie. A son tour, elle voulait redevenir une 'enfant', car les humains représentaient à ses yeux la candeur qu'on lui avait volée. A dix-huit ans, seulement dix-huit ans. Elle avait vénéré Gabriel de l'avoir sauvée de ce trou de terre, mais elle lui en voulait d'une certaine façon. Ou peut-être n'était-ce pas à lui qu'elle en voulait, mais à tous ceux qui l'ont maltraitée dans son passé. Une interrogation qu'elle était incapable de résoudre. Avec le temps, elle en voulait à la tribu colombienne qui l'avait laissée pour morte, elle en voulait à ceux qui l'avaient crée, et elle en voulait à tous les vampires qu'elle avait combattu au Mexique. Et bien qu'il fut plein d'amour à donner, son coeur possédait une grande part d'aigreur. Celle qui vous pousse à l'éloignement. Car en effet, Sue avait vécu seule et isolée durant plusieurs années par peur de souffrir de nouveau. Les colombiens lui avaient volée son enfance, Gabriel, Charles et Daphné lui avaient volée son adolescence et les vampires mexicains lui avaient volée une partie de sa vie d'adulte. Certes, quelques années n'est rien pour quelqu'un qui a l'éternité. Mais elle ne put commencer à penser à elle que cinq ans plus tôt. Et petit à petit, elle s'était mise à envier les humains, tout autant qu'ils l'attendrissaient. Elle préférait être ce qu'elle était à présent plutôt que de voir sa vie se terminer sous des cailloux ; mais elle trouvait injuste d'avoir été si malmenée durant tant d'années. C'est pourquoi la présence d'Alice réchauffait son coeur de marbre glacé. Elle avait tant tué de vampires que sa confiance n'était que rarement naturelle. Et bien qu'à première vue, elle paraisse épanouie, sociable et rayonnante, ce n'était qu'un masque destiné à cacher la douleur qu'elle avait enduré durant tant de temps. Elle n'avait commencé à vivre que depuis si peu d'années que les souvenirs de ses camarades et de sa douleur étaient encore frais dans sa tête. Et elle avait eu la vie qu'elle voulait tant au détriment de ses amis. Cèder une chose pour en avoir une autre. Jamais de cadeau, juste du mérite.

Sa vision des choses avait changé depuis quelque temps, elle voyait la vie en rose et bleu ; mais il était évident que son petit numéro d'actrice, aussi réussi soit-il, ne trompait pas Alice. La grande blonde voyait en cet adorable petit lutin une amie, une nouvelle épaule sur laquelle elle pouvait s'appuyer. Car en plus d'avoir le même caractère, Alice était une aide pour Sue, qui grâce à elle reprenait le goût de la confiance. C'est pourquoi se retrouver là, à essayer des tenues, lui rappela l'affection qu'elle avait porté à ses amis d'entent. De nouveau, il lui semblait qu'elle était prête à se lier, à ouvrir une partie d'elle-même aux autres. Elle était décidée à se faire des amis, à s'extérioriser et à changer. A voir le monde en positif, comme elle le mimait si bien face aux autres. Désormais, ce ne serait plus une vulgaire pièce de théâtre. Ce serait la vérité, un sourire authentique. Elle ne marcherait plus avec le fardeau si lourd qu'est son existence de vampire. Rencontrer une personne si gentille et pleine de bonté qu'Alice l'avait libérée de ce poids. Elle pouvait se confier et parler à coeur ouvert à quelqu'un. Et, elle espérait que ce ne soit que la première et que d'autres s'en suivent.

Alice essaya un vêtement rose bonbon, ce qui fit exploser Sue d'un rire non dissimulé. Reposant la tenue rose, la petite vampire attrapa une tenue d'un rouge soutenu, ce qui offrit un contraste captivant entre la peau et le vêtement.

Alice : « Le rose fait vraiment poupée Barbie, je devrais éviter ! » confia-t-elle.

La réponse de Suzanne ne se fit pas attendre, frappée par la beauté d'Alice, elle la complimenta. Il est vrai que Suzie, vivant dans la splendeur perpétuelle et croisant de temps à autre des vampires somptueux, était habituée à voir des personnes et des fringues magnifiques. Cependant, Alice était superbe avec ça sur le dos. Sue songea d'ailleurs que même avec un sac à patate elle aurait été belle. Les vampires étaient merveilleux quelle que soit leur tenue, confirma Alice en réponse à une remarque de Suzanne.

Les deux vampires abordèrent le sujet des deux hommes qui se trouvaient non loin d'elles, à les fixer comme des idiots. Sue réfléchit quelques instants avant de répondre à la question de son amie, qui portait sur ce qu'elle pensait d'eux. Elle pesa durant deux secondes vampiriques ses mots puis expliqua à la petite vampire aux cheveux noirs de jais que le plus jeune était attirant. Pour la première fois, Alice évoqua explicitement son mari. Bien qu'elle sache que la petite vampire était mariée, Sue refusait d'être indiscrète et ne posait guère de questions sur lui. Alice lui en parlait d'elle-même, cependant, ce qui était plutôt bon signe.

Alice : « C'est vrai qu'il est plutôt beau, mais aucun homme ne surpassera jamais la beauté de mon mari à mes yeux » expliqua-t-elle.

Suzanne hocha en souriant avec tendresse. Elle imaginait Alice avec un superbe jeune homme, collés l'un à l'autre et marchant tout en souriant. Ce tableau était idyllique. Presque trop beau pour être énoncé. Une joie immense s'empara de la belle blonde à cette simple image. Car Alice, en plus d'être splendide, avait une âme encore plus jolie. Et elle imaginait son mari avec une âme aussi belle. Bien que cela n'ait rien d'une jalousie excessive, Suzanne enviait Alice d'avoir une famille et un époux. Elle en rêvait depuis si longtemps. Depuis le Mexique, à vrai dire.

Après une énième plaisanterie, Alice proposa à Suzie de sortir pour marcher et réfléchir à tout cela. Agitant la tête, la grande blonde, à l'allure si élancée, suivit la plus petite, aux pas dansants et gracieux, dehors. Le premier réflexe d'Alice fut de mettre son manteau, Sue n'y pensa pas tout de suite. Ce n'est qu'en voyant la brunette le mettre qu'elle se rappela qu'elle devait le faire à son tour. Avec le temps, elle savait passer inaperçu mais elle oubliait souvent ce genre détail. Tout ceci ressemblait à un film, à un rôle. Et Suzanne, dont le rêve au début des années quatre vingt dix était de devenir actrice se plaisait à cette comédie. Elle avait vite renoncé à cet espoir, trop inquiète à l'idée de voir une éventuelle perte de contrôle sur une chaîne internationale. La démarche, si légère, des deux 'jeunes' femmes résonnaient si doucement qu'elles donnaient l'impression de flotter. La voix d'Alice, un peu gênée, rompit le silence qui s'était installé depuis quelques secondes.

Alice : « Je ne voudrais pas être indiscrète, mais je m'inquiète pour toi parfois... Tu as l'air seule. Tu ne me parles jamais des personnes que tu connais, à croire qu'il n'y en a pas. Ne te force pas si tu ne souhaites pas en parler Sue! »

Suzanne, à la fois surprise et paniquée par cette remarque, perdit son regard dans le vague, un sourire peiné sur le visage. Elle ne savait trop quoi répondre. Se creusant les méninges, elle répliqua cependant ce qui lui paraissait le plus proche de ce qu'elle ressentait.

Suzanne : « C'est vrai, je suis assez seule. Mais c'est dur pour les vampires de se faire une multitude d'amis... J'essaie de rester joviale et souriante malgré tout, mais c'est difficile. J'envie tellement les humains, dont le but est d'être populaire, qui ont une famille. Des fois, j'ai l'impression que le venin n'a pas pris toute mon humanité. Je ne suis pas comme toi, je ne suis pas assez courageuse pour lutter contre ma nature. Pourtant je n'aime pas ce que je suis. Donc forcément je n'aime pas trop les autres vampires. J'ai vu tellement d'horreur, Alice, que c'est compliqué d'accorder sa confiance à un congénère de nouveau. Et j'ai beaucoup de chance de t'avoir rencontré. Je ne dis pas ça par flatterie, mais toi et les Cullen avez un style de vie très particulier. Un style de vie si particulier qu'il ressemble beaucoup à celui des humains. Et si je t'apprécie, ce n'est pas seulement parce que tu es une vraie pile électrique et que tu es d'une sympathie presque excessive, mais c'est également parce que dans un sens, j'ai besoin de voir que je ne suis pas la seule à vouloir renier mon origine. Et je sais que ce n'est pas possible, mais j'aimerai bien être comme les autres filles de dix-huit ans. Te fréquenter, il me faut le reconnaître, est un effort considérable. Mais je suis certaine que ce n'est que le premier pas. J'ai déjà quelques bonnes connaissances à Hanover, c'est déjà pas mal pour un début. Tu ne trouves pas ? »

Les révélations de Suzanne étaient directes. Peut-être un peu trop. Mais ça lui importait peu, elle avait besoin de libérer ce qu'elle avait sur la conscience. Et elle accordait sa confiance à Alice. Elle avait gardé son isolement tellement longtemps pour elle que tout dire lui procura un bien fou. Elle avait dépassé le stade de se lamenter, elle marchait vers un nouveau départ. Une nouvelle façon d'appréhender l'avenir. Tout en continuant leur chemin, Sue se retourna vers Alice et lui adressa un sourire embarrassé.

Suzanne : « Dis, Alice. Comment as-tu su à quoi tu étais destinée ? Je veux dire, tu es devenue végétarienne, tu t'es mariée. Comment as-tu su que ton destin te menait à cela ? »

Suzanne se tut. Après tant d'aveux, elle avait besoin de reprendre son souffle – bien qu'elle n'eût en aucun cas besoin de respirer. Sans cesse, les questions telles que 'Que fais-je sur Terre ?', 'Puisque je ne respire pas d'air, ne mange pas d'animaux et de plantes, à quoi puis-je bien servir ?' mais aucune réponse ne lui venait. Son existence n'avait aucun but, aucune excuse valable. Pourtant, elle était là. Et elle serait là jusqu'à la nuit des temps, pour toujours et à jamais. C'est cette partie là, qui coinçait sérieusement. Si elle ne servait à rien, pourquoi avait-elle l'éternité ? Qu'une personne qui a un but et qui n'a pas assez de temps humain pour le réaliser ait plus de temps était compréhensible, mais qu'elle, elle ait jusqu'à la fin du monde, c'était injuste. A rêver. A envier. Peut-être était-ce là son utilité. Faire rêver les hommes, faire envier les femmes. A part son physique, qu'avait-elle ? Et puis, même avec toute la bonne volonté du monde, elle était incapable d'aider la vie à devenir meilleure. Elle ne pouvait, contrairement à Carlisle Cullen, pas les aider en médecine, alors que la science et la biologie étaient ses spécialités. Elle ne pouvait pas non plus réaliser son rêve de mannequinat, puisqu'elle était une vampire. Et, pour finir, elle n'arrivait pas à tomber amoureuse. Si elle avait pu trouver quelqu'un à aimer, l'univers aurait été plus joli, au moins pour elle. Et elle aurait trouvé un but à tout cela. Mais elle n'était pas amoureuse de qui que ce soit et le monde lui semblait laid. De son point de vue, en tout cas. Son enthousiasme avait beau être tenace, elle perdait petit à petit la joie de vivre. Il fallait qu'elle réagisse, elle ne pouvait rester infiniment ainsi...

Sue questionna ensuite son amie sur les raisons qui l'avait poussée à choisir ce destin. Se nourrir uniquement de sang animal, se marier, rejoindre les Cullen. Pouquoi ? Comment ? Contrairement à d'habitude, Alice sembla stupéfaite, mais reprit ses moyens et essaya d'y réfléchir du mieux qu'elle put. Suzanne se posait des questions existentielles de vampires, et Alice, aussi dévouée fût-elle, ne pouvait guère l'aider. Tout dépendait du mental de Suzie, et de ses motivations. Mais, avec application bien que cela fut flou, la petite brune tenta de répondre à son amie – qui appréciait grandement la bonne volonté et l'intérêt qu'elle lui portait.

Alice : « Je t'avoue que je n'y avais jamais vraiment pensé. Je suis devenue végétarienne... parce que je suis née comme cela je crois. C'est assez difficile à expliquer. Je n'ai pas été éduquée, mon créateur a été tué pendant ma transformation. J'étais seule à mon réveil et même si j'avais soif, je ne me suis jamais tournée vers le sang des hommes. Franchement, ça m'embarrasse un peu de ne pouvoir te donner de meilleure réponse, j'ai l'impression que c'est important pour toi... »

Très concentrée sur les paroles du petit lutin, Suzanne sentit un pincement dans son cœur de marbre qui ne battait plus depuis déjà bien des décennies. Quelque chose roula sur sa joue, quelque chose de mouillé. Une larme ? Non, c'était impossible... Elle n'était plus apte à pleurer, maintenant. Regardant avec attention, Sue se rendit compte qu'il s'agissait d'un flocon de neige mélangé à de la pluie. Ne cachant pas sa déception, elle regarda Alice d'un air profond, peiné au possible. Des milliers de questions surgissaient dans son esprit et personne ne pouvait y répondre. Alice continua en expliquant à Sue qu'il était normal de se nourrir de sang humain.

Suzanne : « Tu crois que... Enfin, je veux dire... Tu sais, quand je suis 'née', mon premier réflexe a été de me jeter sur deux sœurs, deux femmes, d'un petit village colombien, murmura-t-elle dans un air de regret. Je m'en suis abreuvée jusqu'à plus soif, et j'ai savouré chaque seconde. Je ne me rendais pas compte. C'était ma première fois, rien ne me parut aussi délicieux, en cet instant là. Crois-tu que cela veuille dire que je suis destinée à être une carnivore ? Je sais que je suis sensée me nourrir de sang... humain. Mais je ne veux pas être comme les autres. Je veux faire quelque chose de bien, dans ma vie – éternelle. Je veux être différente et trouver un but, autre que tuer des humains, à mon existence. Suis-je... normale ? »

Continuant leur promenade à travers les rues désertiques, les deux immortelles ne remarquèrent pas que le froid se faisait plus sec, fouettant leurs visages tel un fouet. Jamais plus elle n'aurait la sensation d'avoir froid. Parce que jamais plus elle n'aurait froid. Son corps, glacé, marqué de cicatrices innombrables, était lié à celui dont Alice parlait en cet instant même. Jasper Hale. Son nom lui était étranger, elle ne croyait pas le connaître. Pourtant, il était un de ses plus tristes souvenirs. Elle connaissait son visage, ses traits, ses cheveux blonds et son visage torturé sans savoir à quelle appellation l'associer. L'histoire de la petite vampire ressemblait à un conte de fée que Suzanne jalousait avidement. Cela n'avait rien de malsain ou autre, il était indéniable qu'Alice, mis à part son humanité enfermée, avait eu un destin chanceux. D'un certain côté, peut-être s'entendaient-elles bien parce que Suzanne voulait les mêmes choses qu'elle. Cependant, bien qu'elle trouvât la vie d'Alice merveilleuse, Sue ignorait tout de la présence des Volturi dans celle-ci. Car, évidemment, le savoir aurait fait penché la balance. Ainsi, Alice expliqua à Sue que l'amour était la chose la plus importante chez les vampires. L'amour. Ce mot lui paraissait si étranger, si loin. Avait-elle été aimée ? Et avait-elle aimé ? Ses parents l'avaient aimée, bien qu'elle ne s'en rappelât que très peu. Mais à part eux, qui ? Daphné, peut-être. Ou Gabriel. A un moment donné, elle eût la sensation qu'il éprouvait plus qu'une simple sympathie à son égard. Mais s'était-elle trompée ? Elle cligna des yeux, recouverts par des lentilles d'un bleu pastel. La petite vampire ajouta qu'elle souhaitait à Suzanne de découvrir l'amour et le bonheur. Dans un geste maladroit, Sue s'arrêta de marcher et prit la main d'Alice d'un air redevable, plein d'émotions. C'était la première fois qu'on lui souhaitait cela. En fait, c'était la première fois qu'on lui souhaitait quelque chose... A part les vendeuses des magasins lorsqu'elles souhaitent un joyeux noël ou une joyeuse fête de Thanksgiving. Alors, Alice dit à Suzanne qu'elle lui présenterait sûrement son mari, Jasper, dont le sevrage était difficile. Mais les paroles qui suivirent atteignirent davantage Suzie. 'Je suis certaine que tu peux devenir végétarienne à ton tour'. Ces mots résonnèrent un bout de temps. Etait-ce un conseil ? Un encouragement ? Alice avait-elle eu une vision comme pour Jasper ? La façon dont elle avait dit cela réchauffa l'esprit gelé de la grande blonde. Un sourire doux sur les lèvres, Sue murmura à son ami un certain 'Je l'espère, vraiment' avant de reprendre la marche sous ce ciel grisâtre.

Alice : « Mais avant cela... j'aimerais savoir ce à quoi tu faisais allusion tout à l'heure. Ces années noires qui t'ont tant marquées. Seulement si tu le veux bien sûr »

Si du sang avait coulé dans ses veines, il n'aurait fait qu'un tour et se serait stoppé. Mais plus rien ne coulait plus dans ses veines à part du venin. Sa bouche frémissait, prête à dire quelques paroles, mais rien ne sortit. Elle ne savait que dire. Baissant la tête, un air navré pour elle-même, elle se plaignit pour la première fois. D'ordinaire, elle passait cela sous silence. D'ailleurs, elle ignorait si elle devait le dire à Alice. Mais après tout, la brunette lui accordait sa confiance, n'était-elle pas en droit de savoir de quoi le passé de la blonde au teint pâle était fait ? Elle lui avait parlé de Jasper, de sa transformation. Suzanne lui parlerait donc d'elle, à son tour. Prenant un air soudain grave, Sue se racla la gorge, comme gênée et démarra son récit.

Suzanne : « J'espère que tu as du temps, mon histoire est assez longue, prévint-elle. Avant toute chose, tu dois savoir que ce mal être est dû à tout ce que j'ai... enduré. Mais bon, d'autres ont bien plus souffert que moi. C'est juste que... On m'a volé mon enfance. On a torturé mon adolescence. On a détruit ma majorité. Et, avant que je n'arrive ici, il ne me restait plus rien. On m'a tout pris. Je suis née à Mocoa, en Colombie. Nous étions la seule famille pâle du coin. Mes parents étudiaient les peuples locaux. »

Tout cela, elle ne s'en souvenait que très peu, c'est Gabriel qui le lui avait raconté. En revanche, elle se souvenait parfaitement bien de lui, la première fois qu'elle l'avait vu.

Suzanne : « Mais un jour j'ai rencontré un autre garçon pâle, magnifiquement beau. Il me regardait avec intrigue. Trois personnes venaient d'être tuées. Il a été accusé. Avec le temps, j'ai compris que ce n'était pas lui, mais n'entrons pas dans les détails. Sauf que les villageois l'ont confondu avec mon père. Et comme nous étions les seuls européens à des kilomètres à la ronde... Ils ont dépecé et brûlé mes parents, vifs, sous mes yeux. Et j'ai été condamnée à être..., les mots devinrent difficiles à prononcer, torturée. Tous les soirs jusqu'à ma mort. Je préfère t'épargner les broutilles..., articula-t-elle difficilement. Frappée et mal nourrie, j'étais au seuil du ciel lorsque le vampire que j'avais rencontré m'a sauvée et m'a transformée. Mais cela n'avait pour but que de récupérer sa terre, durant les guerres vampiriques au Mexique. J'ai... tué... un bon nombre de vampires. Et d'humains aussi. Mes yeux ont beau être bleus aujourd'hui, le rouge est si perçant qu'ils ne sauraient mentir. Je suppose qu'il est inutile de faire un dessin, j'ai déjà assez de traits sur la peau. Et, alors que les batailles faisaient rage, une famille italienne est venue pour mettre fin aux massacres. Je leur ai échappé de peu, mais pour cela, j'ai dû sacrifier mes meilleurs amis, inconsciemment. Ils se sont débrouillés pour m'éloigner et j'ai ainsi eu la vie sauve. Je me sens si... coupable. C'est comme si je les avais trahis. Et parfois, je me dis que ma présence n'a pas de but puisqu'ils ne sont plus là. Pourtant, je me sens obligée de survivre, pour ne pas bafouer leur mémoire. Après cela, je suis arrivée à Hanover. Sans famille, sans amis. A n'avoir passé ma vie qu'à me battre ou à survivre, sans avoir pris le temps de vivre véritablement. Ni lorsque j'étais humaine, ni après. Mais cela n'a pas d'importance... »

Un soulagement fou émanait de Sue, qui venait de livrer son passé comme elle ne l'avait jamais fait jusqu'à maintenant. Comme un déclic, elle se rendit compte du bien être que lui apportait la confidence.

Alice semblait désolée de ne pas pouvoir apporter plus de précision, mais Sue secoua la tête et lui affirma que ce n'était pas grave, elle faisait déjà tant pour elle. Et, bien qu'il fût coûteux à la vampire blonde de l'admettre, elle aurait été perdue sans une épaule aussi sûre que celle d'Alice. Suzanne compta alors la péripétie de son réveil, pleine de remords. Elle était normale pour une vampire. Enfin, si un vampire peut être normal... Mais elle n'avait pas choisi, non. On l'avait obligée, sans lui demander son avis. C'est surtout pour cela qu'elle désirait être différente. Elle voulait être ce à quoi elle aspirait être. Et les paroles d'Alice la touchèrent, car le soutien que lui montra cette dernière réchauffa ce qu'il restait de ce coeur froid et dur.

« La plus belle preuve de ta différence, c'est de vouloir l'être. Vouloir être végétarienne, vivre autrement, considérer les humains comme autre chose qu'un repas... c'est bien la preuve que tu n'es pas comme cette majorité de vampires qui sont satisfaits de leur sort, de ce qu'ils sont. Crois-moi Suzanne, tu as toutes les chances de devenir ce que tu souhaites devenir. Parole de médium! » dit-elle en riant. « A moins d'un événement extrêmement perturbant dans ta vie, je te vois sur la bonne voie. Alors oui, je pense que tu es normale, sûrement un reste d'humanité. Les Hommes ne cessent jamais de vouloir changer, devenir quelqu'un d'autre. Pourquoi nous autres vampires ne pourrions aspirer à devenir meilleurs? »

Esquissant un sourire comblé, elle hocha la tête et répliqua à son amie qu'elles aussi avaient le droit de choisir, de devenir ce qu'elles voulaient être. Alice expliqua alors en quoi consistait son propre bonheur et elles parlèrent un moment de pourquoi et comment elle s'était dirigée sur cette voie. La vampire blonde ne put s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie, la vie du petit lutin aux cheveux noirs de jais semblait si parfaite. Les émotions s'emparèrent de Suzanne lorsque son amie ajouta qu'elle aussi méritait de trouver tout cela ; sa main vint se poser sur celle d'Alice. « Tu le mérites vraiment » continua celle-ci.

Lorsque le petit lutin demanda à Sue de conter son histoire, elle eût une légère réticence mais accepta sans trop de réserve. Se préoccupant du temps que cela prendrait, elle prévint Alice que son récit était long mais cette dernière répondit qu'après tout, elles avaient l'éternité pour cela. Adressant de nouveau un sourire tendre à son amie, Suzanne lui raconta sa 'vie'. Au moment où elle aborda le thème du Mexique, Alice l'interrompit, l'air surpris et horrifié. Un éclair de frayeur traversa l'esprit de Sue, en avait-elle trop dit ? Alice était une personne en qui elle avait entièrement confiance, pourquoi donc la jugerait-elle par ce genre de chose ? Craignant d'avoir dit quelque chose de mal, Suzie se tut mais Alice lui intima de continuer. Une fois son passé revisité, Suzanne baissa la tête et resta silencieuse. Mais Alice reprit la parole et émit son avis. Apparemment, elle connaissait une histoire bien similaire, celle de son mari. Jasper avait donc été témoin de ces massacres lui aussi ? Bien que cette pensée était stupide, Sue avait cru être la seule ou tout du moins l'une des seuls rescapés de cette période ; et c'est avec joie qu'elle réalisa qu'elle n'était pas seule. Il y en avait d'autres, sûrement beaucoup d'autres...

Un rictus cynique apparut sur le visage d'ordinaire si innocent d'Alice, elle précisa : « Si je peux te donner un conseil, même si tu considères les Volturi comme tes sauveurs – si tu le vois comme ça bien évidement – ne leur fais pas confiance. Et crois-moi, je sais de quoi je parle... ». Mais Suzanne interrompit son amie, posant ses mains des deux côtés de sa tête en s'accroupissant. On eût dit une malade mentale en pleine crise. Se balançant d'avant en arrière, elle secouait la tête de manière négative.

« Non ! NON ! Je les déteste ! Ils doivent mourir ! Ils DOIVENT mourir ! Ce sont des monstres ! Ils les ont tués, ils ont tué les miens ! Ceux que j'aimais, ils sont morts à cause d'eux. Ces monstres, ils doivent disparaître ! Ils doivent... mourir. » finit-elle en un murmure presque inaudible.

Aucun mot n'était assez fort pour décrire le sentiment qui s'était emparé d'elle. Ils étaient ceux qui lui avaient pris son bonheur, le sourire de Daphné, le regard protecteur de Charles et la douceur de Gabriel. Elle le savait déjà, qu'elle ne devait pas leur faire confiance. C'est pour cela que ses créateurs l'avaient évincée, afin qu'elle n'ait pas à les cotoyer. Alice révéla ensuite qu'elle portait un fardeau lourd, beaucoup trop lourd pour elle et les siens. Suzanne se releva doucement et la regarda avec compassion ; sentant la peine monter en elle. Ses yeux, cependant, ne s'humidifièrent pas. Elle ne pouvait pas pleurer, elle ne pouvait plus. L'air en colère, son visage se tordit de douleur.

« Non, répéta-t-elle. Je ne les laisserai pas faire, pas encore une fois... Tu sais, Alice, tu es une amie à laquelle je tiens particulièrement. Peut-être même la seule vraie amie que j'ai... Je sais que je ne fais pas le poids, je sais de quoi ils sont capables. Mais je ne peux pas les laisser s'en prendre à toi... Pas après toute la gentillesse que tu m'as montré. Je ne veux pas les laisser commettre un autre massacre... Si jamais besoin est, tu auras toute mon aide... »

Alice avait été une oreille attentive jusqu'au passage du Mexique. Là, elle sembla surprise et même horrifiée. Néanmoins, pas comme si elle voyait Suzanne comme un monstre, plutôt comme si elle lui avait trouvé un point commun avec quelqu'un. Sue ne comprit pas très bien avec qui d'ailleurs. Mais elle n'était apparemment pas la seule rescapée du coin. Gênée par la réaction de son amie, la vampire blonde se tut un instant. Si elle avait été humaine, elle se serait empourprée et aurait bégayé. Mais elle n'était pas humaine, et ne prit aucune couleur ; sa peau resta pâle et sans vie. Ainsi, Alice la somma de continuer son récit, ce qu'elle fit. Et, à la fin, lui répliqua que les Volturi n'étaient pas des anges ni des sauveurs. La réaction de Suzanne fut exagérée, comme une folle sortit d'un asile mais la simple évocation de ce nom la répugnait. Alice était bien placée pour craindre les Volturi, d'après ses propos. Mais la plus grande des deux immortelles ne fit pas attention à cette parole, trop occupée à se calmer. Le bras de son amie s'enroula autours de ses épaules. Du soutien. C'est tout ce dont elle avait besoin. Là encore, une vague de jalousie la submergea. Et de gratitude aussi. Alice avait tout ce qu'elle rêvait d'avoir, et cela ne semblait à sa portée. Elle semblait être condamnée à vivre solitaire et malheureuse. Peut-être se pourrissait-elle elle-même la vie ? Ou prenait-elle les choses trop à cœur ? Les mains d'Alice glissèrent le long de la crinière de Sue et les deux jeunes femmes se relevèrent au bout d'un certain temps. Suzie se sentait si bête ainsi, si vulnérable. Un vampire mal intentionné aurait vu là une façon de l'atteindre.

Après quelques pas dans la neige, Suzanne annonça à Alice que peu importe sa détresse, elle serait là en cas de besoin. En effet, la solitude de la vampire blonde la poussait à mettre la moindre de ses connaissances sur un piédestal et le petit lutin pâle étant une amie proche, Sue se devait de garder un œil sur elle. Sur-protectrice dirons-nous. Alice expliqua à son amie que les Volturi étaient dangereux et que ni son père ni elle ne tolèrerait qu'elle se batte pour eux. Mais qu'une aide pacifiste était la bienvenue. Sue tressaillit lorsque la petite vampire prononça ce nom, tant détesté et secoua la tête négativement.

« Je sais, Alice, je sais. Mais ne me demande pas de te regarder te faire détruire sans réagir. Dans un sens, cela n'engage que moi. Et je m'engage là-dedans. Mais si tu veux uniquement une aide pacifiste, soit. J'ai dit 'de l'aide' et une aide pacifiste compte comme telle. » murmura-t-elle.

Et, en réponse à « ni moi ni Carlisle n'accepterons que tu te battes pour nous », Sue afficha de nouveau un sourire. Il était encore douloureux mais il avait retrouvé un peu plus de sérénité.

« Tu sais, cela ne me changerait pas beaucoup. »

Alice regarda son portable, Suzanne en déduisît que c'était soit pour savoir l'heure, soit pour voir si on l'avait appelée sans qu'elle ne le sache. Sachant que cette dernière possibilité n'était appliquable que pour les humains, dont l'ouï n'était pas très développé, c'était forcément pour savoir combien de temps s'était écoulé. La petite vampire s'apprêta à partir, et donna une accolade à Suzanne qui la regarda avec regret. Alice avait une famille qui l'attendait. Et il y avait les fêtes de fin d'année à préparer. Elle, elle ne serait pas seule face à son sapin, tandis que Sue taperait la discut' aux branches de gui. Un petit rire intérieur, amer, s'empara d'elle. Cette image était triste mais risible. Tristement risible, en fait. Sue étreignit son amie avant de la lâcher à regret. Alice était si pétillante qu'elle était capable de redonner le sourire à quiconque en avait besoin. Ce que Sue fit ; lui adresser un sourire éblouissant. Pour qu'elle ne s'inquiète pas, pour qu'elle profite au maximum de ses fêtes bien que la menace des italiens soit toujours là. La vampire aux cheveux noirs précisa à Suzanne que si jamais l'envie de venir la voir – ou les voir – la prenait, elle n'aurait qu'à y aller et cette dernière hocha la tête. Surtout si elle se sentait seule à Noël. Même si l'envie était dévorante, plutôt que de rester seule ou aller dans le bar du coin – aller voir son amie était toujours un plaisir – Sue ne se sentait pas le courage de le faire. Elle ne voulait pas gâcher leur unité et leur joie. Elle n'avait pas la force de s'imposer comme cela, bien qu'elle fût invitée. Et, regardant le petite être s'éloigner en lui adressant des signes, elle partit de son côté en renvoya des gestes de la main à son amie.