Prendre la fuite et courir… Rosalie n’avait pas d’autres solutions. Ses pieds nus foulaient la neige fraîchement tombée vers une destination inconnue. Tous ses pouvoirs avaient été inhibés par le sang de mort que Rain avait fait courir dans ses artères immortelles. Elle courait, elle courait sans s’arrêter pour reprendre le souffle qui commençait à lui manquer. Sa respiration était devenue saccadée et son cœur battait si fort qu’elle s’attendait à le voir bondir hors de sa poitrine. Son corps complètement dénudé était enveloppé par le seul brouillard épais environnant, et pour la première fois depuis de longues années, elle ressentit le froid.
La nuit était tombée, et la foret avait revêtit une apparence austère et sinistre. Tous les arbres et sentiers se ressemblaient et la jeune femme ne parvenait pas à retrouver le chemin de la villa. Elle avait l’impression de tourner en rond. Le liquide chaud qui ruisselait de ses plaies béantes laissait derrière elle une traînée écarlate sur le manteau blanc, si bien qu’il ne serait pas difficile pour son adversaire de la retrouver et de terminer le travail. Elle n’osait pas regarder derrière elle pour vérifier si l’artiste asiatique la suivait. Elle n’en avait pas le courage.

Rosalie était terrorisée. Rain avait réveillé des souvenirs douloureux enfouis dans sa mémoire, et l’avait obligée à les vivre à nouveau. Dans son atelier, elle avait senti les mains de Royce et de ses amis se balader sur sa peau nue. Elle avait également senti un poids invisible comprimer son corps, écarter ses cuisses et entamer un mouvement de va et vient. Elle avait entendu leurs rires pervers briser le silence du crépuscule, et une odeur aigre d’alcool et de tabac mélangés flotter dans les airs. Les fantômes du passé étaient revenus pour la hanter et pour recommencer. En face d’elle, la vampires aux yeux verts couchait des teintes rosées sur la toile, sans le moindre regard de compassion pour sa victime. Puis Rosalie avait eu une occasion de s’échapper et l’avait saisie au bon moment. Elle avait eu assez de forces pour se relever, et ordonner à ses jambes de la porter le plus loin possible de l’atelier de Rain, mais maintenant son énergie l’avait quittée.

L’obscurité grandissante devenait handicapante, et pour cause : les yeux humains de Rose ne lui permettaient pas de voir dans la nuit. La foret d’Hanover serait son tombeau. Son immunité vampirique tardait à regagner ses membres, et elle sentait toute forme de vie en elle s’évaporer avec l’égrainement des minutes qui défilaient. Personne ne savait où elle était, et personne ne pouvait la sauver. Elle s’en voulait d’avoir cherché à venger la mort de Tess sans en avoir informé les membres de sa famille et cette erreur allait lui coûter cher. En apprenant l’assassinat de la petite fille d’Anna, Rosalie avait voulu que l’auteur du crime soit puni. Mais elle était loin d’imaginer que la situation allait prendre une telle tournure et que c’était elle que le trépas allait emporter.

Elle avait de plus en plus de mal à respirer. Ses pieds étaient si froids qu’elle ne les sentait plus. Elle perdit l’équilibre et ses genoux plièrent. Son corps s’effondra sur le sol et dévala un ravin. Elle glissa sur seulement quelques mètres mais sa chute paru durer une éternité. Un rocher immense dont le sommet n’était pas englouti par la neige freina sa course. Son crane le percuta de plein fouet, et elle entendit ses vertèbres s’y briser de façon irrémédiable. Incapable de bouger, elle ouvrit les yeux mais sa vue était brouillée. Elle distinguait faiblement les lueurs de la pleine lune dissimulée dans la brume.
Le souffle glacé de la mort glissait dans ses longs cheveux blonds, tachés de sang. L’arrière de sa tête était marqué d’une plaie béante, et l’hémorragie avait crée une marre vermeil autour d’elle.

Rosalie comprit alors qu’elle allait mourir. Carlisle l’avait arrachée aux griffes de la grande faucheuse une première fois ; mais cette fois-ci, elle ne pouvait plus lui échapper. Elle l’avait attirée dans ses filets. La jeune femme pensa alors aux membres de sa famille. D’abord à Jasper et Alice. Elle n’avait jamais été très proche de celui qu’on faisait passer pour son frère jumeau, et n’aurait jamais plus l’occasion de mieux le connaître à présent. Le visage harmonieux de sa sœur traversa son esprit. Elle n’avait jamais voulu se l’avouer, mais elle aurait tant aimé ressembler à Alice. Elle était la personne qu’elle admirait le plus sur terre, et elle lui enviait sa douceur et sa bienveillance. Puis ce fut au tour de Carlisle et d’Esmé. Pendant longtemps, elle en avait voulu à son père de lui avoir offert cette immoralité, mais jamais l’ombre d’un instant elle n’avait cassé de l’aimer et de le respecter. Quant à Esmé, c’était tout simplement la meilleure mère du monde. Pour Rosalie, elle était d’abord sa meilleure amie, puis un modèle. Elle aurait tant espéré que Mathilda ait un jour la même opinion à son sujet…

Vint le tour d’Edward et d’Isabella. Avec ces deux-là, ça n’avait pas toujours été facile. Rosalie n’avait jamais compris son frère et s’était montrée abominable lorsque sa belle-sœur était entrée dans leurs vies. Elle s’en voulait terriblement et aurait aimé remonter le temps. Même si depuis quelques semaines les choses s’étaient arrangées, l’arrivée de Mathilda avait contraint le couple à fuir la maison, et Rosalie en avait beaucoup souffert. Elle n'avait pas pu s'expliquer avec son frère, et lui présenter ses excuses. Edward et sa femme garderaient sans doute un mauvais souvenir d’elle pour l’éternité, ils la verraient comme un monstre, et cela la blessa au plus profond de son être.

Mathilda… la prunelle de ses yeux. L’enfant tant espéré, tant aimé. En pensant à sa fille, l’émotion la submergea et de grosses larmes roulèrent sur ses joues. Elle avait juré de la protéger, mais ne pourrait pas tenir ses promesses. Rosalie morte, l’ancienne Volturi serait sans doute chassée de la villa. Une vague de culpabilité l’entraîna dans son tourbillon.

« Mathilda, je te demande pardon… » murmura Rosalie, d’une voix éplorée.

Emmett… l’amour de sa vie, celui qui avait pansé ses blessures. Celui qu’elle aurait aimé rencontrer de son vivant. Celui a qui elle aurait aimé donner des enfants qui lui ressembleraient. Celui qui lui avait redonné confiance en l’amour et confiance en elle. Celui à qui elle avait offert l’immoralité. Emmett qu’elle avait tant fait souffrir et qui méritait mieux qu’elle. Emmett à qui elle avait imposé un enfant qu’il n’aimait pas. Emmett à qui elle laissait une occasion de trouver une épouse à sa hauteur… une personne digne de lui. Emmett, qu'elle aimait si fort qu'elle aurait pu mourir pour lui s'il le lui avait demandé.

Les battements de son cœur devinrent épars. Son sang et ses larmes avaient coulé, son âme s’impatientait de quitter ce corps parfait, souillé par la perversité des hommes. Alors qu’elle s’apprêtait à fermer ses yeux pour la dernière fois, son ultime pensée fut pour Edward. Il était le seul capable de transmettre son message.

« Mon frère… la vie me quitte, je vais mourir. Dis leur que je les aime, dis leur que je regrette, demande leur de ne pas m’oublier. Demande à Emmett de veiller sur notre fille, et dis à ta femme de ne pas me considérer comme un monstre… Je vais partir avec tant de regrets...»

Quelques instants plus tard, les yeux de Rosalie se fermèrent. Elle avait eu une très longue vie, mais partait avec un sentiment d'inachevé. Mais elle avait tout de même eu la chance de connaître l'amour en la personne d'Emmett, d'avoir une famille aimante et soudée envers laquelle elle n'avait pourtant pas daigné montrer l'attachement qu'ils méritaient. Enfin, elle avait gouté à la joie d'être mère, même si cela avait été trop court. A cette pensée, un mince sourire se dessina sur ses lèvres, et allait rester gravé sur son visage pour l’éternité. Mais cette éternité là n’avait plus du tout le même sens.

Rosalie ne s’était absentée que quelques minutes, mais à son retour le combat était déjà bel et bien entamé. Les deux carnivores donnaient du fil à retordre à Edward qui avait même été blessé au bras au cours de la bataille. La vampire s’en voulait d’avoir mêler son frère à cette histoire ; elle savait pourquoi elle avait été suivie dans la foret, et ne voulait pas qu’Edward fasse les frais de sa mésaventure avec Rain. Cette dernière était beaucoup trop dangereuse pour que Rose expose les membres de sa famille à sa barbarie. Voilà pourquoi elle s’était adressée à leurs assaillants, en leur rappelant quelle était leur cible. Lorsqu’elle eut finit de parler, l’un des carnivores bondit sur elle, tandis que le second poussa Edward contre un tronc d’arbre qui se fracassa dans l’impact, avant d’imiter son acolyte.

La végétarienne fut frappée au visage à maintes reprises. Son adversaire était beaucoup plus grand et beaucoup plus imposant qu’elle ; il avait les mêmes caractéristiques physiques qu’Emmett. Mais Rosalie n’avait aucune intention de lui laisser prendre le dessus. Sa rencontre avec Rain avait teinté son regard de rage et le venin qu’Edward avait injecté dans son corps décuplait ses forces, un peu comme si elle avait été une nouvelle-née. De son coté, son frère était en train d’en découdre avec le second vampire. Il l’avait attaqué par derrière et avait réussit à le décapiter. La tête du malheureux voltigea dans les airs et finit par s’écraser au pieds de Rosalie dans un bruit absolument répugnant.
La magnifique blonde ne put résister à la tentation de baisser le regard et réprima un hurlement de dégoût. Contre toute attente, son adversaire en fit de même et lâcha un grognement féroce en constatant que son allié était en passe d’être neutralisé. Rose profita que le carnivore relâche son attention pour passer à l’offensive. Elle devait agir très vite, ce serait peut-être son unique chance de tirer profit de cette situation mal engagée.

Elle prit impulsion sur ses jambes et se retrouva dans le dos de son adversaire qui n’avait rien vu venir. Elle se cramponna sur son dos et l’obligea à fléchir ses genoux. La cascade de ses cheveux blonds courait le long de l’échine du carnivore qui tentait de se débattre pour faire tomber Rosalie. Mais cette dernière le tenait si fort qu’il était impossible de la faire lâcher prise. Elle planta ses dents dans la peau de son cou, au niveau de la carotide. Lorsqu’il sentit les crocs de la végétarienne s’enfoncer dans sa chair, le vampire hurla de douleur. Mais cette souffrance n’était en rien comparable avec celle qui arriva par la suite. Rosalie dévissa la tête de son adversaire et l’envoyer valdinguer près de celle de son acolyte.

Puis elle fit volte-face pour s’assurer qu’Edward n’était pas en danger. Son frère avait complètement neutraliser le second carnivore, mais il fallait qu’ils se dépêchent de s’enfuir. Leurs corps n’allaient pas tarder à se régénérer, et ils n’avaient rien pour allumer un feu et leur assener le coup de grâce. La jeune femme était dans un piteux état. Du sang avait séché sur ses longues mèches blondes, ce qui rendait sa chevelure hirsute. La chemise qu’Edward lui avait donné avait mal supporté le combat auquel elle venait de se livrer. Le tissu était déchiré à divers endroits, et laissait entrevoir l’intimité de la vampire. Dans d’autres circonstances, elle aurait éprouvé une honte sans bornes à se montrer ainsi devant son frère, sans être apprêtée et à demi-nue, mais sa superficialité s’était évanouie pour le moment.

« Edward, tu n’as rien ? Dis moi que tu vas bien ! » s’écria Rose en se précipitant vers lui et en le serrant dans ses bras. « Il faut qu’on parte avant qu’ils ne se régénèrent ! On ne peut pas rester ici ! » l’implora-t-elle avant de lui lancer un regard empli de reconnaissance.

Tout ce que Rose désirait à présent, c’était retrouver son mari. Elle était passée trop près de la mort, et elle avait vraiment cru qu’elle ne reverrait jamais Emmett. De plus, elle avait l’intime conviction qu’il n’était pas au mieux de sa forme lui non plus, et qu’il avait besoin d’elle. Elle relâcha son étreinte et plongea ses yeux dans ceux de son frère, avant de les reporter sur la blessure qu’il avait au bras.

« Sans ton aide je serai morte. Tu m’as sauvé la vie Edward. L’éternité ne sera jamais assez longue pour te remercier de ton geste. Et je suis désolée que Mathilda ait réveillé nos anciennes querelles. Bella et toi, vous me manquez terriblement… Je t’aime, Edward »

Elle déposa un baiser sur la joue de son frère. Autour d’eux, les corps des deux éclopés commençaient à se reconstituer. Il ne leur restait que quelques minutes pour s’enfuir, et éloigner temporairement la menace qui planait au dessus de leurs têtes. Parce que Rose en était convaincue ; Rain ne la laisserait pas les Cullen tranquilles et continuerait à nuire à leur immortalité dès qu’elle en aurait l’occasion.